Nouvelle fenêtre, Frénésie(s) 2023
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Page 162

Encore une note dans les notes

« Ce sont des lieux communs qu’on retrouve dans tous les romans qui parlent d’amour » L’usage de la photo, Annie Ernaux, p.162

Voilà ma note.

J’ai amené ce livre car il raconte la frénésie d’une relation à travers des photos figées de vêtements et d’intérieurs inanimés, scènes de vie délaissées des corps qui font qu’elles sont vie. J’aime ces photos qui racontent une histoire à travers une absence, une présence qui se dessine en creux.

Je ne sais cependant pas pourquoi j’ai noté cette phrase. J’ouvre le bouquin. La page 162 est effectivement cornée. Comme exactement huit autres avant elle.
Elle parle des musiques qui s’imprègnent tellement dans une période de vie, qu’elles en deviennent à tout jamais la madeleine de Proust.
La phrase présente dans mes notes n’y figure pas. C’était donc mon petit commentaire personnel à cet instant T.

Passages choisis

La musique

« des dizaines de titres écoutés durant ces nuits, seuls quelques-uns me paraissent révéler l’essence des heures chaudes, pleines, vécues totalement en retrait de la marche du monde » … « Autant de chansons si profondément enracinées dans notre relation que je me suis condamné, en en faisant nos accompagnatrices, à ne plus pouvoir les écouter sans qu’elle me ramène, ad vitam aeternam, à Cergy. »

Je continue à feuilleter le livre en m’attardant sur les pages cornées.
Les mots ci-dessus ont été écrits par l’amant d’Annie Ernaux, mais elle dit déjà p.134 peu ou prou la même chose :

« Chacune des saisons de notre histoire est marquée par une ou deux chansons dont on ne savait pas alors que ce serait celle-là plutôt que telle autre qui porterait et condenserait la suite insaisissable des jours de manière indélébile. (…)
Ces chansons seront toujours liées à M., comme d’autres le sont pour moi à d’autres hommes, pour lui à d’autres femmes. On devrait avoir une grande jalousie des chansons. Il suffit que j’entende l'une d'entre elles par hasard, dans un centre commercial, un salon de coiffure, pour me retrouver transportée, non dans un jour précis, mais dans une durée où les variations du ciel et de la température, la diversité des événements du monde, la répétition des parcours et des actes quotidiens, du petit-déjeuner à l’attente sur un quai du métro, se sont fondus, comme dans un roman, en une longue et unique journée, froide ou brûlante, sombre ou lumineuse, colorée d’une seule sensation, celle de bonheur ou de malheur.
Aucune photo ne rend la durée. Elle enferme dans l’instant. La chanson est expansion dans le passé, la photo, finitude. La chanson est le sentiment heureux du temps. La photo son tragique. J’ai souvent pensé qu’on pourrait raconter toute sa vie avec seulement des chansons et des photos. »

Mémoire et frénésie

« Ce n’était plus la scène que nous avions vue, que nous avions voulu sauver, bientôt perdue, mais un tableau étrange, aux couleurs souvent somptueuses, avec des formes énigmatiques. L’impression que l’acte amoureux de la nuit ou du matin – dont on avait du mal, déjà, à se rappeler la date – était à la fois matérialisé et transfiguré, qu’il existait maintenant ailleurs, dans un espace mystérieux. »

« Pendant plusieurs mois, nous nous sommes contentés de prendre des photos, de les regarder et les accumuler. »

« la mise en images effrénée de l’existence qui, de plus en plus, caractérise l’époque. Photo, écriture, à chaque fois il s’est agi pour nous de conférer davantage de réalité à des moments de jouissance irreprésentables et fugitifs. »

Chambre(s)

J’ai toujours pris mes chambres et studio en photo et j’aimerais écrire sur les chambres que je n’habite plus et que je n’habiterais plus jamais à partir de ces images. Annie Ernaux m’y rappelle souvent, car elle écrit souvent à partir de photo. Dans L'usage de la photo elle dit « Ne peut-on voir la vie derrière soi comme une série de chambres en abyme jusqu’à celle, définitivement opaque, neigeuse tel un film mal enregistré sur magnétoscope, de la naissance ».